Immobilier durable : les grands défis des professionnels du secteur
Déployée à grande échelle, la décarbonation du parc immobilier fait éclore de nouveaux modèles, opérationnels comme économiques. Dans une chaîne de valeur réinventée, où l’innovation et la collaboration sont des moteurs de performance, se dessinent les enjeux de la construction durable. Décryptage à l’occasion du Sibca, le salon de l’immobilier bas carbone, qui a ouvert mercredi à Paris.
Par Eugenie Deloire
La transition écologique du secteur immobilier s’accélère. « Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, il faut se retrousser les manches ! » prévient Julien Pemezec, directeur général de Woodeum . Le ton est donné. Depuis l’entrée en vigueur de la taxonomie européenne, le 1er janvier 2022, les investisseurs ont les yeux rivés sur les données extra-financières de leurs projets. « Le bras armé de la finance offre un levier très puissant pour faire bouger les lignes et appliquer de nouveaux standards », affirme Karine Dachary, directrice générale adjointe d’Inea, première foncière à avoir investi, dès 2011, dans un site tertiaire en bois massif auprès d’Ywood, la filière bois de Nexity.
Si la valeur verte reste un serpent de mer, la décote brune des actifs ne répondant pas aux normes environnementales s’impose progressivement sur le marché. La RE2020 et le dispositif éco-énergie tertiaire creusent l’écart entre les bâtiments obsolètes et les programmes neufs écoconçus ou réhabilités. Ces obligations réglementaires poussent les promoteurs à se fixer des objectifs ambitieux. « Dès 2023, tous nos permis de construire seront déposés en RE2020 au seuil RE2025 », annonce Béatrice Lièvre-Théry, directrice générale de Sogeprom, qui a signé, en 2022, le Pacte 3B (bas carbone, biodiversité et bien-vivre).
D’une contrainte, la question environnementale est devenue un marqueur de la stratégie RSE des opérateurs immobiliers. CDC Habitat a ainsi fait de l’urgence climatique son cheval de bataille. « Nous avons élaboré une méthode pour appréhender la résilience de nos bâtiments à partir d’un scénario du GIEC . Une centaine de diagnostics seront menés chaque année sur les résidences les plus exposées aux événements climatiques majeurs », indique Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat. Le groupe consacrera à la résilience un budget complémentaire de 4.000 euros par logement concerné lors des réhabilitations.
Un changement de paradigme
L’inflation et la hausse des coûts de construction obligent toutefois les entreprises à repenser leurs équilibres économiques. « Les freins sont incontestables, mais la maîtrise de nouvelles techniques constructives, tout comme la mutation des usages, permettront de les lever », assure Frédéric Delabie, directeur de Linkcity Nord-Est, convaincu qu’il est possible de gommer le surcoût des projets « verts » en modifiant, dès leur conception, la méthode de travail. « Par rapport au béton, le bois nécessite des phases d’études et de programmation plus longues mais des durées de chantier raccourcies », précise-t-il.
La rareté (et le coût élevé) des matériaux biosourcés ou géosourcés implique, par ailleurs, une plus grande frugalité, ainsi qu’une anticipation des stocks de matériel issu du réemploi. Encore peu structurée, la filière peine, en effet, à répondre aux besoins des maîtres d’oeuvre. « Il faut être agile, trouver des solutions alternatives et faire appel aux entreprises locales », résume Thomas Péridier, directeur de la promotion tertiaire de Crédit Agricole Immobilier Corporate et Promotion. Pour ses futures opérations, le groupe vise la neutralité carbone totale et la réversibilité des bâtiments . « Nous développons des structures de bâtiment flexibles et évolutives qui assurent une pérennité à nos immeubles », ajoute le directeur. Et qui permettraient, pourquoi pas, transformer des bureaux en logements…
Logique d’innovation
Et pour cause. La loi du 20 juillet 2023 visant à intensifier la lutte contre l’artificialisation des sols engendre un nouveau paradoxe : construire plus de logements, sur moins de foncier. L’acceptation de nouveaux projets par les élus devient donc un enjeu clé et, sur ce terrain, le bas carbone a une carte à jouer. « Les chantiers bas carbone sont plus propres, moins longs, avec une réduction des nuisances sur site et une limitation des transports », assure Julien Pemezec. De quoi séduire les maires.
La construction hors site, qui consiste à fabriquer un maximum d’éléments en usines ou en ateliers à l’aide du numérique, apparaît comme une filière prometteuse (et bientôt d’excellence) en matière de décarbonation et d’innovation. « Le modèle intégré du hors-site , incluant une phase de prototypage et de tests, est propice à l’adoption d’une démarche de recherche et développement », confirme Sébastien Matty, président de GA Smart Building.
Cette logique d’innovation, développée par les entreprises privées, le plus souvent en mode « laboratoire », requiert le soutien des pouvoirs publics pour opérer un changement d’échelle. Pour le Village des athlètes des JO de Paris, Icade promet un bilan carbone fixé à 740 tonnes, soit deux fois moins que le niveau réglementaire. Ce projet a pu voir le jour grâce à l’appui de Grand Paris Aménagement. « Le dialogue entre les donneurs d’ordre, les aménageurs publics et les collectivités locales est le moteur de ces chantiers », confirme Emmanuel Desmaizières, directeur général d’Icade Promotion. Le déploiement massif d’un immobilier décarboné repose sur la mobilisation collective des sphères publique et privée.