Bureaux en régions : « Nous profitons peut-être d’un début de pénurie d’offre » – Karine Dachary, Inea
Comment jugez-vous l’évolution du marché de l’immobilier tertiaire en régions versus Île-de-France ? Peut-on parler de deux marchés fonctionnant en parallèle ?
Sur les neuf premiers de 2024, le marché en régions représente 51 % des investissements en immobilier d’entreprise. Il résiste très bien. Ce n’est pas un sous-marché, ni un seul marché, mais ce sont des marchés, peu volatils et plus sains que le marché francilien, avec moins de soubresauts. Nous n’observons pas de loyers proches des 1 000 € du m2 comme à Paris. Nous sommes sur des loyers moyens de 200 € qui approchent les 350 € à Lyon. Le rendement prime, de 5 % avant-crise, atteint les 6 %. Cette correction de 100 points de base reconstitue une prime de risque de l’ordre de 300 bps sur l’OAT 10 ans.
Quelles sont les métropoles régionales où vous investissez ?
Nous sommes la première foncière de bureaux en région, actifs dans une douzaine de métropoles, celles qui portent la croissance, qui ont profité de l’arrivée du TGV et qui accueillent des populations actives jeunes. Nous voulons bénéficier de la vitalité économique des marchés régionaux avec des investissements d’une taille moyenne par actif de 15 M€. Notre positionnement géographique date de 2006, dès l’origine d’Inéa. La mise de fonds initiale a été de 5 M€. Notre patrimoine est de 1,25 Md€ en 2024 avec une moyenne d’âge de 7 ans grâce à notre politique d’acquisitions en blanc. Notre métier est de remplir les bureaux. Nous avons dans le pipe à livrer 80 M€ d’opérations d’ici à la fin 2025. La base locative est solide.
Le secteur tertiaire subit une double lame. La première est réglementaire venant de l’Europe transposée en droit français. Comment avez-vous anticipé les échéances de la taxinomie et de la CSRD ?
La RSE, et d’abord le critère environnemental, est à notre agenda depuis 2012. Nous sommes déjà en phase avec les seuils 2030 du décret tertiaire. Tout notre parc est équipé de capteurs pour les consommations d’électricité et d’eau, mais les consommations ne sont évidemment pas le seul sujet. La taxinomie européenne et le calendrier CSRD jusqu’en 2028, imposant les reportings extra-financiers, nous rappellent que les objectifs vont au-delà de la décarbonation de l’immobilier et de la performance énergétique. Cela nous oblige à être méthodiques et transparents dans la collecte et le traitement de l’information extra-financière, et à nous équiper d’outils de restitution auditables. Le greenwashing n’est plus possible et c’est une bonne chose.
La 2e lame, ce sont les nouveaux usages et l’impact du télétravail. Comment répondre aux pics de sur-utilisation ou sous-utilisations ?
Nous ne sommes pas confrontés à des demandes de réduction de m2. Nous avons senti venir les changements des usages avant le Covid, par exemple, concernant les terrasses et les patios accessibles. Quand nous lançons un programme en blanc, nous nous posons toujours la question des usages. Les brokers sur place nous aident à faire ce travail d’analyse indispensable. Les usages dans les métropoles ne sont pas ceux de la région parisienne. L’une des spécificités en région, c’est une plus grande utilisation de la voiture et des trajets quotidiens plus courts.
Les mesures d’accompagnement (franchise de loyer, travaux offerts, loyers progressifs…) se développent depuis 2022, favorables aux preneurs, à hauteur de 25,4 % selon Immostat le 17/10/2024 sur les transactions locatives de bureaux de +1 000 m2). Qu’en est-il dans les régions ?
Chez Inea, la seule mesure d’accompagnement concerne la franchise de loyer. Sur les baux signés en 2024, nous avons accordé 3,2 mois de franchise, en moyenne, pour une durée ferme de 5,7 ans, ce qui fait un ratio d’accompagnement de moins de 5 %. La demande locative reste forte face à des taux de vacance de moins de 6 % dans les 10 premières grandes villes régionales et après que la production en VEFA a chuté depuis le Covid en 2020. Nous profitons peut-être d’un début de pénurie d’offres dans le neuf. La hausse des taux d’intérêt et les coûts des travaux ont sclérosé le marché de la construction neuve. Ces deux critères ont fortement pesé dans les équations, ils ont pu mettre en balance des projets, même si nous voyons venir un petit cycle de correction depuis le 1e semestre 2024.
Faut-il revoir, selon vous, le cadre juridique des baux ou les modèles de présentation des loyers jugés non adaptés ?
Le bail 3/6/9 représente un engagement de long terme, sans souplesse pendant 3 ans. C’est équilibré entre le bailleur et le preneur. Chez Inéa, nous ne sommes pas dans un rapport de dépendance.
Le coworking est-il une solution alternative durable pour louer des bureaux ?
Le coworking peut permettre à certains immeubles bien situés d’exister quand ils sont “plantés”. Mais gare au modèle économique. Le coworking génère des coûts supplémentaires et se rapproche d’un produit de luxe quand il se décline sur le modèle du bureau opéré, ce qui n’est pas évident à proposer en période de crise. À moins que le coworker bénéficie de conditions exceptionnelles et temporaires de la part des bailleurs, en ne payant par exemple que les charges et les taxes dans un immeuble vide. Mais ce n’est pas notre cas sur notre patrimoine. Ce n’est pas notre métier.
La production d’énergies nouvelles passe par l’installation de centrales et de panneaux photovoltaïques sur toiture. Quelle stratégie avez-vous choisie pour votre immobilier ?
Avec la réduction des consommations d’énergie, la production photovoltaïque est notre second levier pour maximiser notre contribution à la neutralité carbone. La logique qui prévalait dans ce secteur aurait été de faire appel à un tiers investisseur, qui exploite vos toitures. Nous avons choisi de disrupter cette logique et opté pour l’autoconsommation collective pour alimenter et servir d’autres consommateurs à proximité dans un rayon de 2 km. Après plusieurs mois de travail, nous avons trouvé le modèle juridique et financier pour développer des centrales photovoltaïques sur notre patrimoine en nous associant en juin 2024 avec SerenySun Énergies, un spécialiste des circuits courts de l’énergie. 14 centrales sont en cours de déploiement après le lancement d’une 1re opération d’envergure à Lyon. Comme l’installation ne prévoit pas de stockage de l’électricité produite pour l’instant, nous prévoyons une couverture de 30 à 40 % des besoins des immeubles.
Notre ambition est à plusieurs niveaux. Elle est d’augmenter encore la valeur verte de notre patrimoine et de répondre par anticipation aux futures obligations réglementaires, avec la solarisation des bâtiments tertiaires, et de sécuriser l’approvisionnement et le coût de l’électricité pour les locataires. Ce type de projet est à la croisée des marchés de l’immobilier et de l’énergie. Il est complexe à mettre en œuvre, mais il fait sens.
En quoi le programme immobilier Arko à Bordeaux, que vous avez inauguré en septembre 2024, est-il novateur ? Peut-il être dupliqué ?
À propos de cet ensemble de bureaux situé dans le parc économique et environnemental Écosph’Air à Mérignac, sur 10 hectares, nous nous inscrivons dans un cahier des charges très poussé de la métropole et très abouti au plan environnemental, concernant les 40 % de pleine terre, le plan des mobilités douces dans le parc, les pistes cyclables… Nous connaissions les qualités de la construction en structure bois massif puisque nous avons déjà 13 ans d’expérience sur ce sujet depuis notre première opération de ce type réalisée sur quatre bâtiments et 6 000 m2, à Aix-en-Provence en 2011, pour Orange. Et le reste du projet mené par le promoteur Aventim nous a séduits. Le bois coûte plus cher mais le surcoût est compensé par le process en pré-fabriqué qui permet des gains de temps et une réduction des nuisances. Ce type de projet dans l’immobilier tertiaire est duplicable quand on est en phase avec l’aménageur et le promoteur.
38 000 m² entre novembre 2024 et fin 2025
Sur les 9 premiers mois (clos au 30/09/2024), les revenus locatifs bruts d’INEA se montent à 57,7 M€ (+15 % par rapport à la même période en 2023), annoncés le 15/10/2024. Le solde de la croissance du chiffre d’affaires (+8,5 %) résulte de la variation nette du périmètre d’actifs en exploitation. Il bénéficie de l’apport des nouveaux immeubles livrés ou acquis entre 2023 et mi-2024, soit six opérations de bureaux et trois parcs d’activités (ayant respectivement généré 3,4 M€ et 1,1 M€ de revenus supplémentaires).
Au cours des prochains trimestres, le chiffre d’affaires d’Inea indique qu’il « bénéficiera de l’entrée en exploitation du pipeline d’opérations en cours de construction, soit près de 38 000 m² à livrer entre novembre 2024 et fin 2025 ». 68 baux ont été signés en 2024. « Même s’il porte sur une surface moyenne moindre qu’en 2023 (600 m² contre 930 m²), en conséquence de l’attentisme actuel des grands preneurs. Inea revendique un patrimoine de 80 sites immobiliers représentant une surface locative de 462 000 m² et une valeur de 1,224 Md€, pour rendement potentiel de 6,9 % » précise le groupe qui vise les 2 Md€ de patrimoine d’ici à 2026.